Les maux de la terreur

« Ainsi, le terroriste, bien sûr, est dans l’œil de celui qui regarde. »

paru dans lundimatin#427, le 6 mai 2024

Giorgio Agamben dit du "terrorisme" qu’il n’est jamais qu’un nom de plus pour désigner la "guerre civile mondiale". Nous publions cette semaine un excellent texte, érudit et précis, à propos de l’usage politique actuel du concept. Sa difficile définition, le rapport purement abstrait à son emploi quotidien, repose peut-être sur l’effet en retour d’une caractérisation trop précise. Quelque soit la puissance qui cherche à le définir, il semble qu’elle soit vouée à se l’appliquer à elle-même. Comme disait Edward Peck, directeur adjoint de la task force de la Maison Blanche pour la définition du terrorisme : « Ainsi, le terroriste, bien sûr, est dans l’œil de celui qui regarde. »

Dès qu’il s’agit de certains sujets, le concret se fond dans l’abstrait, et personne ne semble en mesure de recourir à des formulations qui ne soient pas rebattues : la prose consiste de moins en moins en des mots choisis en raison de leur sens, et de plus en plus en des formules accrochées les unes aux autres comme les éléments d’un poulailler préfabriqué.

George Orwell, « Politique et langage » [1]

Le 7 octobre 2023, la branche armée du Mouvement de résistance islamique (Hamas) lance une offensive meurtrière contre l’État d’Israël. Traversant en de nombreux points le mur, les grillages et les barbelés qui enclavent le territoire de Gaza, détruisant les tourelles de tirs automatiques censées « sécuriser » la zone, les forces armées du Hamas et du Djihad islamique provoquent en quelques heures la mort d’environ 1 140 personnes. Parmi les victimes, environ 370 militaires et policiers, près de 700 civils israéliens dont 36 enfants et adolescents, plus de 70 ressortissants étrangers [2].

En France, s’ensuit aussitôt une bataille politique et médiatique. Pourtant première à réagir, La France insoumise (LFI) se retrouve sous un feu nourri de critiques. En cause, selon ses détracteurs, un communiqué dans lequel elle ne condamnerait pas explicitement les attaques : « Nous déplorons les morts israéliens et palestiniens. Nos pensées vont à toutes les victimes. L’escalade actuelle risque d’entraîner un cycle de violences infernales [3]. »

Dès lors, tout va très vite.

L’arène politico-médiatique se déchaine contre le passage d’un tweet de Jean-Luc Mélenchon : « la violence ne produit et ne reproduit qu’elle-même ». Oubliée la suite : « Horrifiés, nos pensées et notre compassion vont à toutes les populations désemparées victimes de tout cela. Le cessez-le-feu doit s’imposer. [...] Les peuples palestinien et israélien doivent pouvoir vivre côte à côte, en paix et en sécurité... [4] »

La situation dramatique se profile déjà à Gaza, mais le journal Le Monde juge prioritaire de se fendre d’un éditorial résolument hostile au leader de LFI – le 3e en moins d’un an –, avec ces reproches voilant à peine l’injonction : « Jean-Luc Mélenchon et ses proches refusent de qualifier de « terroriste » l’action d’un groupe islamiste qui s’est attaqué à des civils, a massacré des familles, pris en otage des enfants et déclenché une guerre meurtrière » [5]. Et l’éditorial, suspicieux, de s’interroger : « son but est-il d’« encourager l’antisémitisme » ? de « cautionner le terrorisme islamiste [6] » ?

Dans le même temps, le président du CRIF, Yonathan Arfi, déclare Jean-Luc Mélenchon « ennemi de la République [7] », tandis qu’Éric Dupont-Moretti, ministre de la Justice, l’accuse de vouloir la « détruire ».

Antisémite supposé, allié du Hamas et du terrorisme, « Jean-Luc Mélenchon devrait être fiché S », s’emporte à son tour Karl Olive, député de la majorité présidentielle [8], croyant sans doute que ce fichage est du ressort et de la compétence du politique.

Poussant la diabolisation à l’extrême, Serge July, l’ex-directeur du journal Libération, livre quant à lui son incroyable révélation dans une chronique : Mélenchon est le diable en personne ! Il serait « possédé – au sens diabolique du terme [9] ! » Il s’en faut de peu qu’on ne rallume les bûchers…

Si le délire et l’acharnement frappent avant tout le leader de gauche, il touche plus largement La France insoumise. La chaine d’extrême-droite CNews accuse le parti d’être sorti de l’arc républicain pour n’avoir pas qualifié le Hamas et son attaque de « terroristes », et dans un retournement vertigineux, s’interroge : « LFI : le nazisme est-il passé à l’extrême gauche ? [10] » En parallèle, des députés LR et Renaissance demandent la « dissolution de LFI », allant jusqu’à évoquer une « cinquième colonne du terrorisme palestinien en France » [11]. Réactivant au passage l’imaginaire xénophobe et complotiste d’une « cinquième colonne islamiste » déjà mobilisé en 2013 et 2015 par Christian Estrosi, Jacques Myard, ou Aymeric Chauprade pour stigmatiser les banlieues pauvres [12].

Plus étonnant ? Alors que LFI a immédiatement dénoncé les actes du Hamas en les qualifiant de massacres et de « crimes de guerre » [13], cette dernière dénomination est à son tour récusée :

« Depuis samedi, en ne nommant pas le Hamas comme groupe terroriste, mais comme force armée qui commet des crimes de guerre, LFI légitime le Hamas et ses modes d’action », a déploré le socialiste Jérôme Guedj. De nombreux utilisateurs de Twitter (renommé X) ont également dénoncé l’emploi par Mathilde Panot du terme « crime de guerre » comme une volonté de légitimer le Hamas, et de ne pas le qualifier de terroriste. » (Libération , 10/10/23 [14])

La qualification de « crime de guerre » devenue insignifiante dans les médias français, le procès se poursuit sur le plateau d’Europe 1, où l’on discute de « l’urgence à dissoudre la France insoumise ». Dans le « 13h », Céline Géraud s’indigne : « Il [Manuel Bompard] parle de crime de guerre, hein, uniquement » ; la réponse de Stéphane Le Rudelier satisfait la journaliste : « Oui, il parle de crime de guerre, eh bien c’est du négationnisme ; c’est une forme d’apologie du terrorisme [15]. »

Ce harcèlement diffamatoire contre la gauche [16] s’est à peine atténué avec l’augmentation rapide du nombre de morts à Gaza, son cortège de victimes civiles et les condamnations de l’ONU. En témoignent les polémiques récurrentes autour d’un supposé antisémitisme de gauche que les médias montent en épingle [17].

Absence de contextualisation

Deux éléments frappent dans ces polémiques : une injonction politico-médiatique alignée sur la position gouvernementale, doublée d’une absence de contextualisation journalistique. Sur l’usage du terme « terroriste », chacun y va de son opinion en restant dans une strate polémique qui relève de la guerre idéologique, sans que les strates juridique et scientifique soient mobilisées [18].

Quelques articles ont bien tenté de contextualiser « les mots de la guerre [19] », sans que cela n’influence ni les rédactions ni les animateurs de plateaux radio ou télévisé. Le choix de la BBC, de Skynews ou d’autres médias américains de ne pas qualifier de « terroriste » l’attaque du 7 octobre, n’a pas incité les médias français à se questionner sur leur position [20]. Les pages en français et en anglais de Wikipedia consacrées à l’attaque du 7 octobre illustrent jusqu’à la caricature cette différence de traitement : alors que la page anglophone n’use jamais des termes « terrorist » ou « terror attack » autrement que dans des propos rapportés, leurs équivalents sont employés systématiquement pour qualifier les attaquants du Hamas et leur offensive dans la version française [21].

Rappeler la réalité du terrorisme et des faits qu’il recouvre était pourtant possible : des études existent, et la littérature sur le sujet s’accumule de façon importante depuis des dizaines d’années. Les médias de service public (Radio France, France Télévision...) et les médias dits de « référence » (Le Monde, Le Figaro...) auraient pu – auraient dû – apaiser le débat en rappelant le flou autour de la notion de terrorisme, les dangers de l’utilisation du terme, ou même encore, expliquer en quoi la position de La France insoumise pouvait se justifier et être légitime.

Le terrorisme : pas de sens commun

L’attaque du 7 octobre pouvait-elle être qualifiée de « terroriste » ?

À cette question jamais posée, on serait tenté de répondre : Oui, bien sûr. Le qualificatif recouvre tellement d’actes de nature et de gravité différentes, de l’attaque au couteau par un déséquilibré en passant par l’attentat à la bombe, l’occupation de méga-bassines par des écologistes, la pose de barres de fer sur des caténaires, jusqu’au détournement d’avions, que tout acte – même non meurtrier ou moralement fondé – nuisant à une politique étatique par un acteur non-étatique, pour peu qu’il porte un objectif politique, religieux ou simplement celui de « troubler gravement l’ordre public [22] », est susceptible d’être qualifié de terroriste.

Les Résistants français au régime nazi et au pétainisme ont été affublés de cette appellation infamante, tout comme les militants de l’IRA en Irlande, de l’ANC en Afrique du Sud, etc. Dans une synthèse de mars 2023, Eric Schmid, spécialiste mondialement reconnu de la question, se souvient avoir recensé plus de 100 définitions du terrorisme dans les années 1980 [23].

Dans un entretien avec la journaliste Amy Goodman, présentatrice de Democracy now, l’ancien directeur adjoint du groupe de travail (Task Force) de la Maison blanche contre le terrorisme, Edward Peck, rappelle que les États-Unis ont conditionné l’écriture de leur définition du terrorisme à un impératif simple : que leurs propres actes soient exclus de cette catégorie :

« En 1985, alors que j’étais directeur adjoint du groupe de travail sur le terrorisme de la Maison Blanche de Reagan, on nous a demandé [...] d’élaborer une définition du terrorisme qui pourrait être utilisée par l’ensemble du gouvernement. Nous en avons produit environ six, et à chaque fois, elles ont été rejetées, parce qu’une lecture attentive aurait indiqué que notre propre pays avait été impliqué dans certaines de ces activités.

Après que le groupe de travail a terminé ses travaux, le Congrès s’en est mêlé, et vous pouvez consulter le Code des États-Unis, Titre 18, Section 2331, sur Internet, et lire la définition américaine du terrorisme. Et l’un des passages dit « le terrorisme international... » signifie, je cite « ...activités qui semblent avoir pour but d’affecter la conduite d’un gouvernement par la destruction massive, l’assassinat ou l’enlèvement ».

Oui, bien sûr, on peut penser à un certain nombre de pays qui ont été impliqués dans de telles activités. Le nôtre est l’un d’entre eux. Israël en est un autre. Ainsi, le terroriste, bien sûr, est dans l’œil de celui qui regarde. Et je pense qu’il est utile pour les personnes qui discutent de cette expression de se rappeler qu’Israël a été fondé par des organisations terroristes et des chefs terroristes, [comme] Menachem Begin, qui sont devenus des hommes d’État et ont obtenu le prix Nobel de la paix. Nasrallah n’est peut-être pas le même type d’homme, mais ses intentions sont les mêmes. Il veut libérer son pays de la domination d’un autre. » [24]

La réalité des attentats terroristes

Dans l’éditorial cité plus haut, Le Monde reproche de ne pas qualifier de « terroriste » l’action d’un groupe islamiste ayant attaqué des civils, massacré des familles, pris en otage des enfants...

Hormis la question des otages, dont nous reparlerons plus loin, et hormis le fait que l’on soit en présence d’un groupe islamiste, en quoi ces actions diffèrent-elles de celles menées par les forces armées israéliennes à Gaza, où plus de 15 000 enfants ont été tués depuis le 7 octobre ? Tuer des civils et massacrer des familles serait-il caractéristique de ce qu’on s’accorde généralement à qualifier de « terrorisme » ? Ou ces actions sont-elles considérées comme barbares uniquement car réalisées de façon « artisanale » au fusil d’assaut, plutôt que de manière « chirurgicale » par des missiles guidés à l’intelligence artificielle [25], qui ne font, comme chacun sait, que des « dommages collatéraux » [26] ?

Y aurait-il, comme semble le penser Arié Alimi dans un texte publié sur AOC, une sorte de bon sens populaire, un « sens commun » qui permettrait de juger ce qui relèverait de la guerre ou du terrorisme – un « acte de violence commis contre des populations civiles en vue d’instaurer la terreur » –, en dépit des « critiques juridiques, politiques et géopolitiques [27] » ?

Cet appel populiste au « sens commun » entend en réalité s’affranchir de toute réflexion intellectuelle [28]. Dans le débat qui nous occupe, on s’étonne que la très grande majorité des acteurs ignorent ou feignent d’ignorer le droit international, la littérature académique sur le terrorisme, et en général, toute recherche internationale sur ce thème, pour n’adopter que des définitions personnelles prétendument partagées par le plus grand nombre. La recherche existe pourtant, qui démontre que le « sens commun » se trompe.

À partir des données de la Global Terrorism Database (GTD) les chercheurs Daniel Dory et Hervé Théry démontrent dans un article de 2021 sur « les réalités du terrorisme dans le monde » que :

« Contrairement à l’idée trop répandue sous l’effet du « 9/11 » les actes terroristes très meurtriers sont, en fait, rarissimes. [...] Le terrorisme, qui est habituellement associé à la mort, se distingue par le fait que plus de la moitié des attentats (57 %) n’ont pas de conséquences létales. Et d’autre part qu’environ 99,9 % des attentats tuent moins de 100 personnes. » [29]

Sur les quelque 111 400 attentats répertoriés entre 1970 et 2019, 91,5% des attentats ont occasionné zéro (57%) ou entre 1 et 5 décès (34,5%), sans compter les blessés, absents de l’étude ; cinq attentats ont fait plus de 500 décès, soit 0,004% des attentats enregistrés. D’où la conclusion des auteurs : le 11/09 est un évènement « absolument atypique et exceptionnel [...] qui ne saurait représenter la réalité « ordinaire » du fait terroriste ».

Une étude de la Fondation pour l’innovation politique consacrée uniquement au « terrorisme islamiste », publiée en 2019 puis mise à jour en 2021, confirme cet éclairage :

« entre 1979 et mai 2021 au moins 48 035 attentats islamistes ont eu lieu dans le monde. Ils ont provoqué la mort d’au moins 210 138 personnes. En moyenne, un attentat islamiste a causé la mort de près de 4,4 personnes. [...] Les explosifs sont le type d’arme le plus utilisé (43,9%), tandis que les militaires sont la cible principale (31,7%), devant les civils (25,0%) et les forces de police (18,3%). » [30]

À rebours des opinions régulièrement exprimées dans les médias, l’étude montre que les militaires et la police sont les cibles principales des attentats, plus souvent que la population civile. Si le nombre de morts recensés est élevé, il faut le comparer aux morts causés par la guerre et les forces armées étatiques dans les régions concernées durant cette période : c’est sans commune mesure. Les auteurs montrent en effet que « l’Afghanistan a été le pays le plus touché par le terrorisme islamiste, devant l’Iraq et la Somalie » et que « la plupart (89,5%) des attentats islamistes ont été commis dans des pays musulmans. De même, la très grande majorité des morts provoquées par des attentats islamistes (91,7%) ont été enregistrées dans des pays musulmans ».

Les musulmans sont donc les premières victimes du « terrorisme islamiste », et ce dernier fleurit avant tout en contexte de guerre longue, ce qui nuance quelque peu la qualification de « violence islamiste » et la portée de l’étude : « Sur l’ensemble de la période étudiée, les talibans ont été le groupe le plus meurtrier. Ses actions terroristes ont provoqué la mort de 69 303 personnes ». Enfin, l’étude montre que la Russie est le pays du continent européen le plus touché par le terrorisme islamiste, observation malheureusement confirmée par l’attaque du 22 mars près de Moscou.

On est loin de l’imaginaire véhiculé par le personnel médiatique et politique français sur les actes terroristes : les attentats font majoritairement peu de morts voire pas du tout, et leurs cibles sont d’abord la police et l’armée. Dans la majorité des cas, ce qui est considéré comme un acte terroriste ne consiste pas à tuer des civils, massacrer des familles, ou prendre en otage des enfants. Enfin, contrairement aux propos de certains « spécialistes », le terrorisme ne vise pas en priorité les sociétés démocratiques, et ne cherche pas à les diviser ou à menacer leur « mode de vie [31] » ; il concerne d’abord et de très loin les régimes autoritaires et les pays en proie aux conflits armés longs, pour s’inscrire dès lors dans une logique de guerre avec des moyens faibles, confirmant en cela l’analyse de John A. Lynn que nous aborderons plus loin.

L’accusation de minimiser les actes du Hamas en ne les qualifiant pas de terroristes était donc totalement fallacieuse et exactement inverse à la vérité : avec ses presque 1 200 morts, l’attaque du 7 octobre relevait bien plus d’une offensive militaire s’inscrivant dans le « conflit armé permanent » opposant Israël et Palestiniens, que du terrorisme. L’amalgamer aux quelques milliers d’attentats ne faisant aucune victime revenait au contraire à nier la gravité d’un tel acte. La France insoumise, en qualifiant de « massacres » ou de « crimes de guerre » les actes commis sur les civils par les combattants du Hamas, était donc plus proche de la réalité, et c’est tout à son honneur.

On peut dès lors se poser cette question : alors même qu’il n’existe pas de définition internationale du terrorisme, que les définitions nationales amalgament des faits à la gravité et à la légitimité hétérogènes, et que les faits recensés comme tels ne recouvrent que dans moins de 0,004 % des cas le type d’attaque perpétré le 7 octobre, fallait-il dès lors employer ce terme ?

On l’a affirmé plus tôt : on le pouvait. Pour autant, fallait-il le faire ?

Autrement dit, la position adoptée par la France insoumise est-elle légitime ?

Un usage qui amplifie les fractures françaises et nuit à la compréhension de l’évènement

Si l’on voulait éviter de cautionner le massacre actuel à Gaza, la position de La France insoumise était non seulement légitime, mais la seule qui aurait dû prévaloir. Au regard du gouvernement actuellement au pouvoir en Israël, mais surtout de la déshumanisation ancienne de la population palestinienne, massacre et « risque de génocide » étaient prévisibles.

Nous pensons donc que si l’on pouvait qualifier l’offensive du Hamas de terroriste, il ne fallait surtout pas le faire.

Première raison : selon les approches de spécialistes reconnus de la question, la qualification de terrorisme n’était pas pertinente. Alex Schmid, déjà évoqué, recommande d’adopter une définition étroite du terrorisme permettant de limiter les abus dans la lutte contre celui-ci. Dans une proposition de 1992, il considère les actes terroristes comme « des crimes de guerre commis en temps de paix ». Dans sa mise à jour de 2023, Schmid ne considère pas comme déterminant le fait que l’acteur soit étatique ou non-étatique. Pour Ben Saul, autre spécialiste du terrorisme, l’important est que les actes se situent « en dehors d’un conflit armé » (outside an armed conflict) [32].

Cette situation ne correspond doublement pas au conflit israélo-palestinien : les Nations unies qualifient justement celui-ci de « conflit armé permanent », et elles considèrent Israël comme « puissance occupante » dans les territoires palestiniens annexés et la bande de Gaza, malgré l’évacuation des colons de celle-ci en 2005. Les qualifications de « massacre » ou de « crime de guerre » sont donc les plus légitimes.

La seconde raison que nous invoquerons, c’est que l’usage univoque du terme par les médias français a avant tout servi comme arme de destruction massive pour tuer le pluralisme d’opinions. En retour, de larges pans de la société française ont perdu toute confiance dans la capacité des médias à produire une information à peu près objective.

Prenons encore une fois un exemple outre-Manche.
Face aux injonctions politiques de se conformer à la position officielle du gouvernement britannique et d’utiliser le terme « terroriste », la BBC a répondu qu’elle était un « diffuseur de contenus éditorialement indépendant » (editorially independent broadcaster). Ajoutant qu’il était primordial que le journalisme de la chaine puisse « continuer à être factuel, précis, impartial et véridique » dans le contexte actuel. Le guide éditorial de la BBC considère en effet « le mot « terroriste » comme « un obstacle plutôt qu’une aide à la compréhension » » et le devoir du travail journalistique d’« utiliser des mots qui décrivent spécifiquement l’auteur de l’attentat, tels que « poseur de bombes », « attaquant », « tireur », « kidnappeur », « insurgé » et « militant » [33]. »

En France, c’est la situation exactement inverse qui a prévalu : les médias ont fait pression sur des politiques, en l’occurrence situés à gauche, pour qu’ils se conforment à la position officielle du gouvernement français et du gouvernement d’extrême-droite israélien. Étonnant, non ?

Enfin, sur le plan judiciaire, l’usage du terme terroriste autorise une vague de répression sans précédent, qui sert à briser toute parole alternative.

Terroriser l’expression

Au nom de la lutte anti-terroriste et singulièrement depuis le 11 septembre 2001, les États sont de plus en plus tentés de s’arranger avec le cadre légal, et les législations d’exception se multiplient au mépris du droit international et des droits fondamentaux, restreignant toujours plus les libertés publiques et individuelles. La France n’est pas en reste, et à la fin janvier 2024, plus de 600 procédures avaient été lancées pour apologie de terrorisme en lien avec l’attaque du Hamas. Parmi elles, Mohamed Makni, élu d’Échirolles, commune limitrophe de Grenoble, coupable selon le parquet d’avoir retweeté le 11 octobre une phrase d’un ex-ministre tunisien des affaires étrangères : « Ils [les Occidentaux] s’empressent de qualifier de terroriste ce qui, à nos yeux, est un acte de résistance évident ». Quatre mois de prison avec sursis et 800 euros d’amende, dont 400 avec sursis, ont été requis contre lui pour cette imprudence au « pays des Lumières » [34]. On peut s’étonner : bien que les guerres menées par les États occasionnent une mortalité sans commune mesure avec le terrorisme infra-étatique, c’est l’apologie de celui-ci qui est condamné, et non l’apologie de la réponse militaire [35].

Terrorisme ou résistance ?

La députée LFI Danièle Obono a également fait les frais de cette intimidation médiatique et judiciaire, comme récemment la philosophe Judith Butler pour avoir qualifié l’attaque du Hamas d’« acte de résistance », même si elle les avait auparavant condamnés « sans la moindre réserve [36] ».

La dichotomie entre « actes de résistance » et terrorisme n’a pourtant aucune raison d’être. Dans un ouvrage paru en France en 2021, Une autre guerre. Histoire et nature du terrorisme, l’historien de la guerre John A. Lynn considère au contraire que :

« Le terme de « terrorisme » ne désigne pas à mes yeux une forme particulière d’idéologie politique, mais plutôt l’idée que les attentats constituent une forme de résistance politique, perçue comme légitime voire nécessaire, pouvant être adoptée pour faire avancer des causes très différentes. » [37]

Lynn rappelle que les auteurs d’actes terroristes, dans le cadre d’une lutte politique, n’ont souvent pas le choix : leur manque de moyens dans la lutte les oblige à recourir à des tactiques non conformes au droit de la guerre. Et de citer un ancien responsable du Hamas au Liban, qui déclarait en 2005 : « Je vous répondrai ceci : nous n’avons pas d’avions à réaction, nous n’avons pas de chars. Voilà pourquoi nous avons recours aux kamikazes. C’est une de nos manières de résister [38]. »

Dans le cas de Gaza et du Hamas, Israël dénie aux Palestiniens tout État et toute constitution en nation, alors même que depuis 1947, l’ONU prévoit la création d’un État palestinien. La situation dans les territoires palestiniens est qualifiée de « conflit armé permanent » par les organes des Nations Unies, et Israël est considéré comme « puissance occupante » en raison du blocus à Gaza, de la colonisation et du contrôle de la population par les forces israéliennes en Cisjordanie [39]. Le droit à la résistance, y compris par la lutte armée, a été affirmé et réaffirmé par les résolutions 37/43 (1982) et 45/130 (1990) de l’Assemblée Générale des Nations unies, toujours en vigueur et toujours d’actualité :

« Considérant que le déni des droits inaliénables du peuple palestinien à l’autodétermination, à la souveraineté, à l’indépendance et au retour en Palestine, la répression brutale de l’Intifada [...] par les forces israéliennes, ainsi que les agressions répétées d’Israël contre la population de la région font peser une lourde menace sur la paix et la sécurité internationale, [...]

2. Réaffirme la légitimité de la lutte que les peuples mènent pour assurer leur indépendance, leur intégrité territoriale et leur unité nationale et pour se libérer de la domination coloniale, de l’apartheid et de 1’occupation étrangère par tous les moyens à leur disposition, y compris la lutte armée ; [...]

6. Condamne de même énergiquement les violations constantes et délibérées des droits fondamentaux du peuple palestinien, ainsi que les actes expansionnistes d’Israël au Moyen-Orient, qui constituent un obstacle à l’autodétermination et à l’indépendance du peuple palestinien et une menace contre la paix et la stabilité dans la région. » [40]

Contrairement à ce qu’affirme Arié Alimi dans son texte paru dans AOC, la situation des Palestiniens n’a rien à voir avec celle de l’ANC en Afrique du Sud luttant contre l’apartheid, ou celle des résistants pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces deux « groupes terroristes », tels que les qualifiaient leurs opposants, bénéficiaient d’un soutien international. Dès le début des années 1960, soit une dizaine d’années après la mise en place officielle de l’apartheid, une opposition internationale s’organise, débutant par un mouvement de boycott en Grande Bretagne, un embargo sur les armes, puis une campagne massive de boycott international. Le mouvement de résistance français, est-il besoin de le rappeler, bénéficiait du soutien des Alliés, et n’avait pas d’intérêt stratégique à s’aliéner le soutien international par des actions pouvant révolter l’opinion publique.

Dans les territoires palestiniens, rien de tel. Face au soutien européen et américain à l’occupation et l’annexion des territoires palestiniens, face à une armée puissante disposant des outils de contrôle et de destruction les plus puissants, le Hamas a peu d’options tactiques à sa disposition pour résister, défendre la population palestinienne, et visibiliser son combat sur la scène internationale. Malgré toutes les condamnations des Nations Unies concernant les annexions et les colonies illégales, et le fait que la population israélienne se soit dotée d’un gouvernement composé de personnalités d’extrême-droite et fascistes, le soutien politique, économique et militaire occidental à Israël est resté constant et inconditionnel.

Pire : après la décision contraignante de la Cour internationale de Justice (CIJ) rappelant qu’il existait à Gaza « un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable » soit causé aux droits à la vie des Palestiniens, et ordonnant à Israël « de prendre des mesures pour empêcher les actes de génocide à Gaza [41] », les États-Unis continuent de s’opposer à un cessez-le-feu, et comme la plupart des pays alliés d’Israël, persévèrent dans leur soutien militaire.

Si le contexte de résistance du 7 octobre ne fait aucun doute, les massacres perpétrés cette date, notamment contre les civils, ne sauraient être excusés. Il faut cependant rappeler que les civils, considérés comme des occupants, n’étaient pas la cible première : les attaquants du Hamas avaient 25 objectifs militaires, et pour mission de tuer mais surtout faire prisonniers les civils, potentiellement armés [42], qu’ils rencontreraient sur leur chemin. C’est l’absence première d’opposition de l’armée israélienne qui leur a permis de s’écarter de leurs objectifs. Le festival Tribe of Nova, déplacé à peine deux jours avant, n’a été connu des attaquants qu’après le début de l’assaut, comme le confirme une enquête des autorités israéliennes [43]. Les forces militaires de l’État hébreu, prévenues d’une potentielle offensive, n’ont pas jugé utile de redéplacer le festival ou de le protéger.

Le massacre de quelque 360 participants à cet évènement festif est terrible, il n’est pas en soi un acte terroriste, dès lors que l’objectif de départ n’était pas de tuer ces personnes. Comme elles nous le prouvent tous les jours, les armées régulières peuvent également massacrer de manière indiscriminée hommes, femmes et enfants. Il faudrait alors qualifier ces massacres de « terroristes », ou considérer que ce critère n’est pas suffisant.

Délégitimation de l’autre, légitimation de soi

Forgé au départ pour qualifier la Terreur d’État durant la Révolution française [44], le mot « terrorisme » a vu son usage se modifier et se retourner au cours du 19e siècle pour finalement servir à discréditer et délégitimer les acteurs non étatiques opposés à l’État [45]. John A. Lynn, dans Une autre guerre, s’en amuse :

« Prenez n’importe quel débat sur n’importe quel aspect du terrorisme. Vous pouvez être certain que, quel que soit le sujet, vous vous retrouverez confrontés à tant de controverses, d’inexactitudes et de polémiques que [...] la seule certitude valable sur le terrorisme, c’est le caractère péjoratif du terme. » [46]

Dans un autre ouvrage de référence sur le terrorisme, Verena Erlenbusch-Anderson ne dit pas autre chose : « L’étiquette de « terrorisme », par exemple, sert à nier la légitimité de certaines formes de violence tout en affirmant la nécessité d’autres formes de violence » [47], et de prendre l’exemple des actes commis par certains États, en particulier les États-Unis et Israël, coutumiers du genre :

« Prenons l’exemple des frappes de drones. Du point de vue de leurs victimes, elles ressemblent à s’y méprendre à des actes de terrorisme, mais leurs auteurs les justifient comme étant des opérations militaires destinées à mettre fin, précisément, au terrorisme. » [48]

Le terme sert à délégitimer certains auteurs de violences, souvent les « islamistes », les « indépendantistes », les « séparatistes », etc., mais également à inverser les rôles : ce ne sont plus les groupes opprimés ou minoritaires qui se retrouvent « en lutte », mais les États. Le vocable de « lutte contre le terrorisme » permet à ces derniers de s’autoriser des moyens extra-légaux de combat du terrorisme. Israël s’en est fait une spécialité en pratiquant les assassinats ciblés, les bombardements indiscriminés de populations civiles et les raids de « représailles », ainsi que les détentions arbitraires. L’excuse du « bouclier humain », invoquée régulièrement par Israël, a bon dos, alors qu’aucun dirigeant ennemi n’est nulle part à l’abri d’assassinats ciblés par une frappe de missile guidé [49].

Revenons sur l’éditorial du Monde : pour le journal, on peut penser que ce qui détermine le qualificatif de terroriste, les actions décrites n’étant pas caractéristiques, c’est que leur auteur soit un « groupe islamiste ».

Une étude publiée en 2021 sur les médias allemands confirme cette impression. La chercheuse Valerie Hase révèle des biais systématiques quant à la manière de couvrir les actes de « violence politique » : les journalistes allemands ont tendance à présenter les attaques menées contre les pays occidentaux par des extrémistes islamistes comme du terrorisme, contrairement à d’autres violences politiques. L’auteure résume ainsi : « Les informations sont très sélectives quant aux actes de violence politique qui sont présentés comme du terrorisme, ce qui peut favoriser les stéréotypes et empêcher l’adoption de mesures politiques à l’égard des différentes formes d’extrémisme [50]. » Cette grille de lecture détermine ensuite l’interprétation d’évènements et de situations, comme celle des otages.

En juillet 2023, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Mme Francesca Albanese, rapporte qu’environ 5 000 Palestiniens, dont 160 enfants, croupissent dans les prisons israéliennes, et qu’environ 1 100 d’entre eux sont détenus sans inculpation ni jugement. Selon son rapport, « les enfants, passibles d’emprisonnement dès l’âge de 12 ans, sont par ailleurs traités de façon aussi inhumaine que les adultes, avec de longues périodes en isolement. [...] Les pratiques carcérales illégales d’Israël équivalent à des crimes internationaux qui justifient une enquête urgente du Procureur de la Cour pénale internationale [51]. »

La situation des prisonniers palestiniens, pour lesquels de nombreux cas de torture sont avérés, dont certains ayant entrainé la mort, fait dire que les détentions arbitraires menées par Israël sont en réalité des prises d’otages. C’est ce qu’affirme par exemple Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, lors d’un entretien sur TV5 Monde [52]. Cette grille de lecture est introuvable dans le traitement journalistique des médias dominants. Cette absence détermine dès lors le « deux poids-deux mesures » de la réponse politique à l’égard d’Israël et du Hamas : alors que les bombardements, les incursions meurtrières, les exécutions sommaires, ou même l’inondation des tunnels sont encouragés pour récupérer les otages israéliens, aucune pression occidentale n’est exercée pour que soient libérés les prisonniers palestiniens arrêtés arbitrairement et détenus illégalement par Israël.

Le terrorisme d’État

Pour de nombreux auteurs, de Daniel Dory à John Lynn, l’identité ou les statuts des auteurs d’actes de terrorisme importent peu [53]. John Lynn, contournant les problèmes de définition, a proposé une caractérisation des formes de terrorisme en termes de capacité.

Sur cette échelle à six niveaux, les États se situent aux deux niveaux les plus hauts, car ils ont la capacité de produire des actes de terreur de grande envergure avec une forte capacité destructrice. Dans cette catégorisation, le Hamas se situe au niveau 2, celui du « terrorisme radical des groupes infra-étatiques ». Le terrorisme d’Israël se situe au niveau 5, celui du « terrorisme des forces militaires en guerre », car il est indéniable qu’Israël utilise de façon massive la tactique terroriste face à ses opposants.

Dans l’ouvrage collectif Contemporary State Terrorism, un texte de Sandra Nasr intitulé « Israel’s other terrorism challenge » évoque les multiples actes visant à terrifier, intimider, humilier les Palestiniens : détentions arbitraires pouvant être assimilées à la prise d’otages, torture des détenus, usage de boucliers humains, bombardements indiscriminés, assassinats extrajudiciaires... Pour elle, l’emploi de « tactiques de terreur » par Israël ne fait aucun doute :

« [...] il est incontestable qu’Israël commet quotidiennement des actes de terreur d’État de toutes sortes dans les territoires occupés. Dans chaque cas examiné dans ce chapitre, l’action entreprise montre une réponse illégale et disproportionnée, qui ne parvient pas à cibler les individus de manière adéquate et appropriée pour un but acceptable et stratégique. Ce manquement est le signe d’une politique plus générale consistant à employer des tactiques de terreur dans le but de soumettre une population. »

 [54]

Depuis le 7 octobre, les bombardements sur la bande de Gaza relèvent de la même tactique que celle de la Royal Air Force sur Dresde en 1945 et la dépasse même : si les bombes ne sont pas incendiaires, il s’agit bien de terroriser la population palestinienne, mais également d’effacer tout vestige culturel et identitaire, et d’interdire toute vie future.


Les six degrés du terrorisme selon John A. Lynn. Source : Une autre guerre. Histoire et nature du terrorisme, p. 25.

Barbarie contre « civilisation »

L’idée commune que les États détiennent « le monopole de la force légitime » et bénéficient donc d’un « droit à se défendre », au contraire des populations pratiquant le terrorisme, renforce le « deux poids-deux mesures » médiatique. Cette vision fausse sert un narratif colonialiste et une vision occidentale faisant la part belle aux États installés face aux nations en construction, forcément moins « civilisées ». Dans un autre chapitre de Contemporary State Terrorism, Karine Hamilton juge que la « punition collective » infligée par l’État hébreu lors du conflit l’opposant au Hezbollah en 2006 :

« a mis en évidence le rôle central de la politique d’« altérisation » dans la logique de dissuasion utilisée par Israël, où l’idée que les Arabes ne comprennent que la force a longtemps été au cœur de la stratégie militaire. Dans le climat mondial de la « Guerre au terrorisme » [War on Terror], ces types de stéréotypes culturels sur les peuples arabes ou islamiques sont de puissants instruments d’identité en Israël et dans d’autres États utilisant la force militaire pour lutter contre le terrorisme. »

Pour Karine Hamilton, les divisions culturelles artificiellement créées par les États entre « barbares » et « civilisés » servent avant tout à soutenir la légitimité des États-Nations face aux acteurs non-étatiques. Discours particulièrement mobilisé en Israël, qui se présente et se considère volontiers comme « la seule démocratie du Moyen-Orient », dès lors moralement supérieure à ses ennemis, en particulier dans l’exercice de la guerre :

En fin de compte, l’exclusion des États du terme « terrorisme’ protège leurs dirigeants des questions de légitimité que les actes de violence à motivation politique contre les civils (c’est-à-dire le terrorisme) provoquent dans les discours politiques contemporains. Ce faisant, cette rhétorique inégale de la « terreur » est elle-même un mécanisme de terrorisme d’État, par lequel les gouvernements valident et masquent leur utilisation de tactiques terroristes en définissant leurs actions comme défensives ou rationnellement stratégiques, tout en employant l’étiquette délégitimante de « terroriste » à l’encontre de leurs opposants [...] La résistance profonde dont font preuve les chefs d’État pour reconnaître leur recours au terrorisme réside précisément dans l’utilité politique de maintenir une image de combat vertueux tout en maintenant certains groupes en dehors des normes et des récits politiques acceptés. » [55]

Bien que l’expérience de la Seconde Guerre mondiale devrait nous préserver de tout manichéisme opposant « barbarie » et « civilisation », les discours autour du « terrorisme » sont justement au service d’une telle vision. Et pourtant, c’est bien la civilisation industrielle qui a produit l’horreur la plus systématique que l’Humanité ait jamais connu.

Soutenue de façon « inconditionnelle » par les États-Unis, l’Allemagne ou la France, la guerre au « terrorisme » a autorisé la réponse dramatiquement violente et meurtrière d’Israël. C’était prévisible : les réactions de l’État hébreu au « terrorisme » palestinien ont toutes été disproportionnées : entre 2008 et septembre 2023, pour 6 307 blessés côté israélien, les Palestiniens en dénombraient 152 560, soit... 24 fois plus ! Selon la même source, durant la même période, Israël a compté 308 morts dans sa population, les Palestiniens, 6 407. Là encore, le rapport est de 1 à 20 [56].

Depuis des années, documentaires, reportages, films, enquêtes et rapports démontrent le caractère systématique de la répression et du harcèlement qui frappent la population palestinienne à Gaza et en Cisjordanie, que ce soit par les bombardements et les attaques de colons protégés par l’armée israélienne. L’ONG Breaking the silence, à travers les témoignages d’anciens militaires israéliens, documente depuis longtemps les exactions et les violences de la soi-disant armée « la plus morale du monde » et la déshumanisation des Palestiniens en son sein. En 2015, une enquête mettait « en évidence la volonté d’Israël de destruction systématique plutôt que de recherche et d’élimination d’éléments terroristes [57]. » En 2018, l’ex-ministre de la défense Avigdor Liberman confirmait cette approche en déclarant : « Il n’y a pas d’innocents à Gaza [58] ».

Dans un ouvrage paru en 2017 sous le titre Ten Myths about Israel, l’historien israélien de gauche Ilian Pappe rappelle qu’« entre 1948 et 1982, les Palestiniens furent diabolisés en étant comparés aux nazis. Le même processus de « nazification » appliqué aux Palestiniens fut ensuite étendu à l’Islam en général, et aux activistes en particulier ». La victoire du Hamas aux élections législatives de 2006 n’a rien arrangé : « À partir de ce moment, la diabolisation des palestiniens en tant qu’« Arabes » abhorrés a été renforcée par la nouvelle étiquette de « musulmans fanatiques ». Le langage de la haine s’est accompagné de nouvelles politiques anti-palestiniennes agressives qui ont encore aggravé la situation dans les territoires occupés, déjà lamentable et atroce [59]. »

Ilian Pappe conclue, et cela devrait nous faire réfléchir sur l’aveuglement politique de nos dirigeants, que ce qu’Israël prétendait être une « guerre d’autodéfense contre le terrorisme » était en réalité « un génocide graduel de la population gazaouite [60]. » Déjà.

Avec la « guerre au terrorisme », le massacre rendu possible

Le massacre en cours ainsi que la destruction systématique du cadre de vie dans l’enclave palestinienne, soumise à un blocus illégal depuis 2015, était donc totalement prévisible : déshumanisation et altérisation sont les moteurs des massacres et des génocides, les prétendus « attentats » souvent le prétexte déclencheur. La volonté des politiques ne pas appeler immédiatement au cessez-le feu était donc ouvertement et sciemment criminelle.

Il est naïf – ou malhonnête – de penser que la plus grande destruction urbaine contemporaine jamais vue par les organisations humanitaires aurait pu se faire sans que l’ennemi ne soit qualifié de terroriste, équivalent du mal absolu. Il n’y a que d’un tel ennemi que l’on peut déclarer vouloir sa « destruction » ou son « élimination totale », comme l’ont fait les responsables israéliens [61]. Dans le conflit opposant la Russie et l’Ukraine, aucun des deux belligérants n’a osé promettre la destruction de l’adversaire, pas même de l’armée adverse. Contre l’Allemagne hitlérienne et le Japon impérial, les Américains n’ont jamais évoqué l’élimination totale des forces armées ennemies, ou même des membres du Parti nazi. Au contraire, de nombreuses personnalités furent amnistiées. Faut-il le rappeler ? « La guerre contre le nazisme n’a pas eu lieu. C’est l’Allemagne conquérante qui a été combattue, avec retard, par les armes et vaincue : il n’y a pas eu d’insurrection intérieure notoire contre le régime nazi ni de soulèvement général, universel, à son encontre, pas de refus instinctif, de rejet délibéré, et certes pas de résistance internationale spontanée, immédiate [62]... »

Fondatrice de l’esprit de colonisation, l’opposition barbarie versus civilisation est constitutive de la mentalité de la population israélienne et de ses dirigeants, largement issus d’Europe de l’Est et d’ex-URSS. Chaïm Weizmann, futur président d’Israël, aurait eu ces propos avant la création de l’État hébreu : « D’un côté les forces de la destruction, les forces du désert, se développent, de l’autre tiennent fermement les forces de la civilisation et de la construction. C’est la vieille guerre du désert contre la civilisation, mais nous ne céderons pas [63]. »

Une trentaine d’années après la fondation de l’État d’Israël en 1948, la déshumanisation des voisins arabes est déjà dans le langage officiel. En 1983, devant une commission du Parlement israélien, le général Rafael Eitan se vante de ses victoires en Cisjordanie : « Tout ce que les Arabes pourront faire, c’est s’agiter comme des cafards drogués dans une bouteille [64]. » Selon la même logique, Netanyahou n’a de cesse de justifier le mépris du droit humanitaire face aux « terroristes ». Dès le 9 octobre, le ministre de la défense israélien, Yoav Gallant, assène, comme en écho au général Eitan : « Nous allons imposer un siège complet à Gaza. Pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de gaz, tout sera fermé […]. Nous combattons des animaux humains, nous agissons en conséquence [65]. »

Face à la constante déshumanisation de la population palestinienne, face au génocide graduel de ce peuple, les pays occidentaux semblent encore attendre que l’État hébreu affirme ouvertement ses ambitions conquérantes pour réagir.

Quelques réflexions en guise de conclusion

1. 2021, les bombes pleuvent sur Gaza. Le 15 mai, une frappe israélienne réduit en cendres un immeuble abritant plusieurs médias, dont l’agence américaine Associated Press et la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera [66]. En France, seules quelques voix à gauche s’émeuvent de ce crime de guerre de l’État hébreu, et Gérald Darmanin, fidèle à lui-même et à sa conception de la liberté d’expression, interdit déjà les manifestations pro-palestiniennes. Yannick Jadot, à l’époque, s’offusque du climat politico-médiatique français autour du conflit : « L’ambiance est dingue, la disqualification des concurrents politiques est devenue la règle. Or la question israélo-palestinienne est sans cesse instrumentalisée dans des enjeux de politique nationale ». Il juge alors « insupportable que le débat politique se résume à 280 caractères sur Twitter, surtout sur des sujets aussi complexes, avec tout le harcèlement qui s’ensuit. » [67]

Cela peut paraître anecdotique au regard des enjeux actuels, mais la question du harcèlement politico-médiatique, ici clairement verbalisée par Yannick Jadot, devrait nous questionner et nous préoccuper. La violence verbale et symbolique abattue récemment sur les membres de la France insoumise montre un harcèlement médiatique et politique continu à l’encontre des voix discordantes proposant une intelligence différente des évènements (sur le Hamas, les émeutes urbaines de 2023, etc.). Cet épisode doit nous inciter à réfléchir à la violence propagée par les médias dits « traditionnels », alors que les conflits actuels illustrent à quel point les médias traditionnels peuvent propager des messages belliqueux et partiaux, et influencent toujours grandement l’opinion publique. Portée et banalisée par des autorités institutionnelles, cette violence est symboliquement plus forte que sur les réseaux sociaux. La tolérance à la violence doit nous inquiéter : à la fois pour le traitement du harcèlement, mais aussi pour ce qu’elle montre de la brutalisation croissante de notre société.

2. Les polémiques françaises ont montré, une fois de plus, à quel point le débat hexagonal est enfermé dans une bulle médiatique univoque qui s’extrême-droitise de plus en en plus. La polémique autour de Judith Butler en est un nouveau symptôme. Que des personnalités prétendument de gauche reprennent des grilles d’analyses relevant des droites françaises et israéliennes devrait nous attrister. Pour l’essentiel, Judith Butler n’a fait que reprendre, entre autres, l’avis de Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’ONU [68]. Alors que les enquêtes et contre-enquêtes se suivent en Israël et aux États-Unis sur la question des viols perpétrés par les attaquants du Hamas, ces débats n’ont pas filtré dans les médias français dominants [69].

3. Je suis enseignant. En tant que tel, j’ai le devoir professionnel d’actualiser mes connaissances et de réduire l’écart entre ce que j’enseigne et les connaissances établies par le champ académique. Force est de constater que cela ne semble pas être le cas pour les médias : en se situant uniquement dans la strate polémique, en excluant majoritairement les strates juridique et académique, les animateurs de plateau, chroniqueurs, éditorialistes, n’ont pas rempli leur mission de journalistes pour laquelle ils sont payés, et ont contribué à appauvrir le débat. C’est inquiétant pour la démocratie.

4. Dans son étude, Valerie Hase fait ce constat : « Lorsqu’ils utilisent le terme de terrorisme, les journalistes reprennent souvent le langage des hommes politiques [...]. Ainsi, à travers leur traitement de l’information, les journalistes permettent aux gouvernements de poursuivre des objectifs politiques, par exemple pour légitimer une guerre [...]. » Et elle conseille : « les journalistes devraient réfléchir attentivement à la pertinence de décrire des actes comme du terrorisme et choisir des descriptions plus neutres, afin de servir l’information plutôt que servir d’outil pour les politiciens [70]. » La séquence actuelle montre que les médias français sont bien plus un auxiliaire du pouvoir gouvernemental et étatique qu’un contre-pouvoir. Les choix sémantiques de la BBC et d’autres médias anglo-saxons doivent pouvoir être un exemple, même s’il y a peu d’espoir à court terme.

5. Le harcèlement contre La France insoumise a révélé au grand jour la volonté du personnel politique et médiatique de disqualifier la gauche en discréditant toute lecture anticoloniale (à la fois juive et non-juive) et rationalisant le combat du Hamas [71] ; l’intention de légitimer et d’installer l’extrême-droite dans le paysage politique, en particulier en validant la grille de lecture de la droite israélienne déshumanisant les Arabes palestiniens ; et la volonté de légitimer le massacre à Gaza aux yeux de l’opinion publique. Le Rassemblement national a été le grand gagnant de cet épisode. Le refus de LFI de jouer le jeu médiatique en rejetant les injonctions et diktats (« Est-ce que vous condamnez les violences ? [72] ») explique une partie des représailles. Cependant, il faut bien admettre que le personnel médiatique, notamment depuis la crise du Covid, s’aligne de plus en plus sur les positions institutionnelles et officielles.

5. Ce suivisme s’explique en partie par un déficit intellectuel, une incapacité à avoir une vision historique du temps long. La focalisation sur le 7 octobre comme point de départ du conflit a prouvé la difficulté du personnel médiatique à appréhender autre chose que l’évènement. Il faut ici différentier les informations produites par les journalistes de terrain [73], souvent remarquables mais de plus en plus rares, des narrations produites par les animateurs de plateaux radio-télévisés. Il faut aussi s’inquiéter de journalistes de plus en plus fixés sur les réseaux sociaux, enfermés dans des bulles d’information et de « controverses » qu’ils sont pourtant les premiers à dénoncer.

6. La mainmise d’une supposée communauté juive sur les médias est un des lieux communs de l’antisémitisme. La flagrante partialité pro-israélienne des médias les plus influents, illustrée par le « deux poids-deux mesures », ne peut malheureusement qu’encourager et fortifier ce lieu commun antisémite.

L’appartenance de certains médias à des milliardaires, en l’occurrence Patrick Drahi, détenteur de BFM, RMC (cédées depuis) et de la chaine israélienne I24 News, renforce les soupçons de biais dans l’information. Il est donc urgent de réfléchir à un financement des médias plus équilibré.
L’association entre antisionisme et antisémitisme a, par effet inverse et perverse, entériné l’association entre judéité et sionisme, renforçant le soupçon d’une allégeance des Juifs de France à l’État d’Israël. Guillaume Erner accusant la professeure de droit international Raphaëlle Maison d’avoir « une vision biaisée des attaques du 7 Octobre » est à cet égard exemplaire [74]. Et sa justification, pour le moins maladroite : « je suis juif... et puis aussi parce que le fait d’être allé plusieurs fois en Israël, d’y avoir de la famille, d’avoir par exemple un vieil oncle [...] dans un kibboutz non loin de Gaza [...]. Tout cela me rend plus objectif [75]... »

La crainte que l’antisémitisme soit exacerbé par l’existence d’un État juif s’exprimait déjà chez les Juifs antisionistes du début du 20e siècle, parmi lesquels Lord Montagu, opposé à la Déclaration Balfour et seul ministre juif du gouvernement Lloyd George. Pour lui, sionisme et citoyenneté britannique étaient incompatibles, et l’existence d’un foyer pour les juifs en Palestine ferait toujours peser un soupçon sur le patriotisme de cette population [76]. En ce sens, polémiques actuelles et parti-pris pro-israéliens ne peuvent que renforcer l’antisémitisme et mettre en danger les juifs de France.

Au contraire, une information objective, pluraliste et plurivoque créera les conditions d’une réponse appropriée aux actions de l’État hébreu, et contribuera à la sécurité des populations juives, où qu’elles soient.

Yves Russell

Grenoble, 25 mars 2024

Références principales

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Schmid Alex, Defining Terrorism, International Centre for Counter-Terrorism (coll. « ICCT Report »), 2023.

[1George Orwell, « Politique et langage », dans Pourquoi j’écris, Gallimard, « Folio », 2020 [1946], p. 75.

[2Mélanie Meloche-Holubowski, « L’impact de 100 jours de guerre entre Israël et le Hamas, en chiffres et en cartes », Radio Canada, 14/01/2024. L’AFP décompte quant à elle 1 163 décès côté israélien, dont les otages décédés.

[5C’est nous qui soulignons.

[6« Que cherche Jean-Luc Mélenchon ? A renforcer sa base électorale dans les quartiers ? A monter les communautés les unes contre les autres ? A encourager l’antisémitisme ? A cautionner le terrorisme islamiste ? Toutes ces questions méritent d’être ouvertement posées [...], tant le cas Mélenchon est devenu le problème de toute la gauche. », dans Éditorial : « Mélenchon, le problème de toute la gauche  », Le Monde, 11/10/2023. Pas avare d’imagination lorsqu’il s’agit du leader de LFI, Le Monde avait déjà titré son éditorial du 5/05/2023 « A gauche, le problème Mélenchon ».

[9« Ce diable de Mélenchon, par Serge July  », Libération, 30/10/2023.

[10Dans un bandeau affiché au cours d’une retranscription de débats à l’Assemblée, le 12/10/2023.

[14Jacques Pezet, « Peut-on qualifier les actes commis par le Hamas de « crimes de guerre » ? », Libération, 10/10/2023.

[15Céline Géraud, « La France Insoumise ne considère pas le Hamas comme une organisation terroriste, faut-il une dissolution du parti ?  », Europe 1, 11/10/2023. CNews et Europe 1 sont contrôlés par Vincent Bolloré.

[16Pour une synthèse, impossiblement exhaustive, du déferlement médiatique et politique qui s’est abattu sur La France insoumise, on peut lire sur le site d’Acrimed cet article de Mathias Raymond : « Conflit israélo-palestinien : calomnies médiatiques contre LFI ou « La Formation infréquentable » » (26/10/2023). Ont suivi trois excellents articles de Julien Deroni sur la couverture médiatique du conflit, toujours sur Acrimed (accès libre) : « Israël-Palestine, le 7 octobre et après (1) : un cadrage médiatique verrouillé  » (12/02/24), « Israël-Palestine, le 7 octobre et après (2) : doubles standards et compassions sélectives  », (22/02/2024), et « Israël-Palestine, le 7 octobre et après (3) : invisibilisation de Gaza et déshumanisation des Palestiniens  » (22/02/2024).

[17On peut rappeler, entre autres affaires récentes : les textes d’Eva Illouz accusant la gauche d’être « devenue une idéologie de haine envers les Juifs » (relayés par Le Monde, Haaretz, Süddeutsche Zeitung), les anathèmes lancés à l’encontre de Judith Butler après une conférence à Pantin, ou les rodomontades du pouvoir après l’occupation d’un amphi à Sciences-po Paris – antre supposé du wokisme et de l’islamo-gauchisme – pour un cessez-le-feu à Gaza.

[18Pour suivre une catégorisation de Daniel Dory, spécialiste français du terrorisme. Sur cette question : Daniel Dory et Kattalin Gabriel-Oyhamburu, « Neuf questions sur le terrorisme », Sécurité globale, 2023, vol. 33, no 1, p. 75‑96, ou encore Daniel Dory, « Le terrorisme et les transformations de la guerre : un état de la question », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2022, vol. 285, no 1, p. 41‑57.

[19Par exemple : Noémie Lair, « Crime de guerre, terrorisme, attentat : quelle réalité juridique derrière les mots du conflit Israël-Hamas », Radio France, 12/10/2023.

[20Sur la mort du professeur Dominique Bernard lors de l’attaque au couteau du lycée d’Arras, la BBC, Reuters, et d’autres agences anglo-saxonnes ont décrit précisément les faits sans utiliser le vocable imposé en France.

[21Pages Wikipedia consultées pour la dernière fois le 23/03/2024 : « Attaque du Hamas contre Israël de 2023 », et la page s’y rapportant en langue anglaise : « 2023 Hamas-led attack on Israel ».

[22Voir sur Légifrance : Code pénal, Titre II : Du terrorisme, article 421-1.

[23Alex Schmid, Defining Terrorism, International Centre for Counter-Terrorism, 2023, p, 3.

[24« National Exclusive : Hezbollah Leader Hassan Nasrallah Talks With Former US Diplomats on Israel, Prisoners and Hezbollah’s Founding  », Democracy Now, 28/07/2006. Cette traduction de l’anglais et celles qui suivent sont de nous.

[25Florian Gouthière et Alexandre Horn, « Comment l’armée israélienne utilise l’intelligence artificielle pour bombarder Gaza », Libération, 2 décembre 2023. L’usage de l’intelligence artificielle pour générer plus de cibles avait déjà été documenté en 2021. En 2023, l’article explique que « le nombre de morts civils jugé acceptable par le commandement militaire israélien dans l’objectif d’atteindre un dirigeant du Hamas serait passé de « dizaines » à « des centaines », ce qui fait dire à d’anciens officiers de renseignement que le procédé s’assimile à une « usine d’assassinat de masse ».

[26Cf. les propos de Christophe Barbier, Caroline Fourest, Raphaël Enthoven, Julien Odoul, Olivier Truchot... entre autres.

[27Arié Alimi, « L’éthique de l’intellectuel ou la résistance à son propre pouvoir », AOC, 22/03/2024.

[28On pense évidemment à Raphaël Enthoven, qui osa affirmer : « Rien n’est plus monstrueux que de vouloir expliquer la barbarie et de se donner l’air en plus de mieux la comprendre en le faisant. » (Europe 1, 10/10/2023).

[29Daniel Dory et Hervé Théry, « Mettre le 11 septembre 2001 à sa place. Réflexions géographiques sur les réalités du terrorisme dans le monde », La Géographie, 2021, vol. 1583, no 4, p. 40‑45.

[30Dominique Reynié (ed.), Les attentats islamistes dans le monde : 1979-2021, Nouvelle éd., données collectées jusqu’au 31 mai 2021., Paris, Fondation pour l’innovation politique, 2021, 69 p.

[31Cette vision médiatique a été analysée outre-Rhin, où une étude sur la presse allemande a montré que « grâce à une couverture très sélective, les journalistes présentent le terrorisme comme une menace qui touche principalement les citoyens occidentaux. En revanche, la couverture ne reflète pas la violence qui sévit ailleurs, par exemple au Moyen-Orient ». Voir Valerie Hase, « What is terrorism (according to the news) ? How the German press selectively labels political violence as “terrorism” », Journalism, 13 mai 2021. Certains universitaires viennent conforter cette perspective médiatique paresseuse : par exemple Jenny Raflik, à la vision très eurocentrée, comme ici, invitée de Thomas Legrand dans « Le terrorisme », En quête de Politique, France Culture, 28/10/2023.

[32Alex Schmid, Defining Terrorism, International Centre for Counter-Terrorism, 2023, p. 12.

[33Ian Youngs, Paul Glynn, « BBC defends policy not to call Hamas ’terrorists’ after criticism », BBC News, 12/10/2023.

[34Mohamed Makni a été condamné en première instance le 26/04/2024. Il a annoncé faire appel.

[35Pour approfondir cette question, on pourra se reporter à Vanessa Codaccioni, Justice d’exception : l’État face aux crimes politiques et terroristes, Paris, CNRS éditions, 2024, 400 p.

[36Judith Butler, « Condamner la violence », AOC, 13/10/2023.

[37John A. Lynn, Une autre guerre  : histoire et nature du terrorisme, Paris, [Paris], Passés/composés  ; ministère des Armées, 2021, p. 29. C’est nous qui soulignons.

[38Cité par Ibid., p. 32.

[39Voir par exemple le Rapport sur l’assistance de la CNUCED au peuple palestinien : Évolution de l’économie du Territoire palestinien occupé (25/10/2023), qui détaille les conditions de vie économique dans les territoires palestiniens en 2022 : https://unctad.org/fr/publication/rapport-sur-lassistance-de-la-cnuced-au-peuple-palestinien

[42De nombreux Kibboutz ont organisé depuis longtemps des milices armées composées de civils 
 : les civils ne sont donc pas forcément des non-combattants, comme l’illustre tragiquement la situation dans les colonies de Cisjordanie.

[44On ne peut comprendre le refus de Jean-Luc Mélenchon d’employer le terme « terroriste » si on ne connait pas son érudition à propos de la Révolution française, et en particulier de la période de la Terreur. Voir par exemple l’émission dans laquelle il faisait face à Nicolas Truong et Gérard Miller : Jean-Luc Mélenchon face à Robespierre, « Et si c’était vous ? », Toute l’Histoire, 8/10/2016. Il y affirme clairement son rejet de la violence en politique.

[45Alex Schmid, Defining Terrorism, International Centre for Counter-Terrorism, 2023, p. 5.

[46Cité dans John A. Lynn, Une autre guerre  : histoire et nature du terrorisme, Paris, Passés/composés  ; Ministère des Armées, 2021, p. 17.

[47« The terrorism label, for instance, serves as a means to deny the legitimacy of some forms of violence while affirming the necessity of others », dans Verena Erlenbusch-Anderson, Genealogies of terrorism : revolution, state violence, empire, New York, Columbia University Press, 2018, p. 5.

[48Ibid., p. 1.

[49On peut lire à ce propos Quentin Brunet, « Frappes de drones sous Obama  : entre acte terroriste et (il)légalité militaire », A contrario, 6 février 2020, n° 29, no 2, p. 63‑80, cet entretien très instructif entre Ronen Bergman (Lève-toi et tue le premier : l’histoire secrète des assassinats ciblés commandités par Israël) et David Horovitz, « Les assassinats ciblés pour tenter «  d’arrêter l’Histoire » », The Times of Israël, 7/03/2019, ainsi que Ariel Colonomos, Le pari de la guerre  : guerre préventive, guerre juste  ?, Denoël, 2009, en particulier le chapitre « Les assassinats ciblés : la chasse à l’homme ».

[50Valerie Hase, « What is terrorism (according to the news) ? How the German press selectively labels political violence as “terrorism” », Journalism, 13 mai 2021.

[51Compte rendu de séance, « « Les pratiques carcérales illégales d’Israël équivalent à des crimes internationaux qui justifient une enquête urgente du Procureur de la Cour pénale internationale », déclare Mme Albanese devant le Conseil des droits de l’homme », 10/07/2023, Office des Nations Unies à Genève. https://www.ungeneva.org/fr/news-media/meeting-summary/2023/07/les-pratiques-carcerales-illegales-disrael-equivalent-des-crimes

[52Entretien avec Rony Brauman, « Internationales », TV5 Monde, 11/11/2023. https://www.tv5monde.com/emissions/episode/internationales-rony-brauman

[53Daniel Dory affirme ainsi  : «  Je ne parle pas de «  terroristes  » autant que faire se peut. Et ce pour la simple et bonne raison que à mes yeux les «  terroristes  » n’existent pas en tant que tels. Il s’agit d’une désignation essentiellement polémique qui efface la réalité des sujets en les résumant au seul usage d’une technique. Je parle, par conséquent d’acteurs recourant au terrorisme, en des moments et des lieux qu’il s’agit d’analyser  », dans Daniel Dory et Kattalin Gabriel-Oyhamburu, « Neuf questions sur le terrorisme », Sécurité globale, 2023, vol. 33, no 1, p. 83.

[54Sandra Nasr, « Israel’s other terrorism challenge » dans Contemporary State Terrorism, Routledge, 2009, p. 81.

[55Karine Hamilton, « The deterrence logic of state warfare : Israel and the Second Lebanon War, 2006 » dans Contemporary State Terrorism, Routledge, 2009, p. 223‑224.

[58« « Il n’y a pas d’innocents à Gaza » (Lieberman) », I24News, 8/04/2018.

[59IIian Pappe, Les dix légendes structurantes d’Israël, Les Nuits rouges, 2022, p. 144‑145. Mme Albanese ne dit pas autre chose dans son rapport au Conseil des droits de l’homme de l’ONU intitulé « Anatomie d’un génocide  », rendu public le 25/03/2024 : « Les actions d’Israël ont été motivées par une logique génocidaire faisant partie intégrante de son projet de colonisation en Palestine, indiquant une tragédie annoncée ». Voir ici pour la version officielle en anglais : https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/hrbodies/hrcouncil/sessions-regular/session55/advance-versions/a-hrc-55-73-auv.pdf

[60Ibid., p. 144.

[61Dalia Hadar et Natalie Merzoughui, « Israël réussit-il dans sa mission d’’élimination’ du Hamas ?  », BBC Arabic, 4/03/2024.

[62Viviane Forrester, Le crime occidental, Fayard, 2004, p. 9-10.

[63Cité par Alain Gresh dans Israël, Palestine : vérités sur un conflit, éd. actualisée, Paris, Pluriel, 2017.

[64« All the Arabs will be able to do is scuttle around like drugged cockroaches in a bottle », cité par Paul Foot, « In a state of cruelty », The Guardian, 30/05/2020.

[65Sanjana Karanth, « Israeli Defense Minister Announces Siege On Gaza To Fight ‘Human Animals’  », Huffington Post, 9/10/2023.

[67Fabien Escalona et Pauline Graulle, « Conflit à Gaza : les gauches françaises entre indignation et tétanie  », Mediapart, 18/05/2021.

[68Voir par exemple cette interview très éclairante : Mike Wagenheim, « ’Un acte de résistance illégitime ne délégitime pas la résistance’, déclare la rapporteuse spéciale de l’ONU à i24NEWS  », I24 News, 23/12/2023.

[69The Intercept a remis en cause l’enquête du New York Times sur les viols perpétrés lors de l’offensive du Hamas, intitulée « ‘Screams Without Words’ : How Hamas Weaponized Sexual Violence on Oct. 7 », et certains témoignages ont été invalidés, notamment par le porte-parole du kibboutz de Be’eri. Voir notamment les articles « “Between the Hammer and the Anvil”. The Story Behind the New York Times October 7 Exposé » (28/02/2024) et « Kibbutz Be’eri Rejects Story in New York Times October 7 Exposé : “They Were Not Sexually Abused” » (4/03/2024). Norman Finkelstein, un universitaire juif anti-sioniste, a également critiqué fermement le rapport de la mission Patten sur les viols, en affirmant qu’ils étaient plus sûrement le fait d’individus isolés (voir : « Pramila Patten’s Rape Fantasies : A Critical Analysis of the UN Report on Sexual Violence during the 7 October Attack » (11/03/2024). On ne peut comprendre en France la position de Judith Butler si on méconnait l’existence du pluralisme de voix qui s’expriment outre-atlantique.

[70V. Hase, « What is terrorism (according to the news) ? », art cit, p. 413.

[71« Le Hamas est catalogué comme une organisation terroriste, tant dans les médias que dans la loi. Je prétends qu’il s’agit d’un mouvement de libération légitime », écrit Ilian Pappe dans Les dix légendes structurantes d’Israël, p. 143.

[72Usul et Ost Politik, « Usul. Est-ce que vous condamnez les violences ?  », Mediapart, 3/04/2023.

[73On peut souligner ce remarquable article de Benjamin Barthe, ancien correspondant à Ramallah pour L’express et Le Monde, « L’histoire de Gaza, ou la fabrique d’une poudrière », Le Monde, 15//2023.

[74Voir une analyse sur Arrêt sur Images : « Israël-Gaza : France Culture et la chercheuse ’biaisée’ », par Pauline Bock, 11/01/2024.

[76« Si un Anglais juif jette les yeux sur le Mont des Oliviers et aspire au jour où il secouera le sol britannique de ses chaussures et reprendra ses activités agricoles en Palestine, cet homme m’a toujours semblé avoir des objectifs reconnus comme incompatibles avec la citoyenneté britannique et avoir admis qu’il est inapte à prendre part à la vie publique en Grande-Bretagne ou à être traité comme un Anglais. », dans « Mémorandum d’Edwin Montagu sur l’antisémitisme du gouvernement actuel [britannique] » du 23 août 1917. Disponible en anglais sur https://balfourproject.org/edwin-montagu-and-zionism-1917/. Le texte français est publié dans Antisionisme, une histoire juive, Éditions Syllepse, 2023, 368 p. L’ouvrage comporte également la « Protestation à Woodrow Wilson contre un État sioniste », de l’Organisation juive américaine, présentée par Julius Kahn. Tout était dit.

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